Aurélie GOSSELIN
Psychopédagogue et psychopraticienne
Diplômée en Neuropsychologie
psy cog pedagogique
Aurélie GOSSELIN
Psychopédagogue et psychopraticienne
Diplômée en Neuropsychologie

Chroniques d'une psychopédagogue - Novembre 2024


Bonjour et bienvenue dans cet article qui fait suite à celui du mois d'octobre et qui s'inscrit dans l'idée d'une série de chroniques pour vous partager le quotidien de mon travail de psychopédagogue et les réflexions qui en découlent. 

L'idée de ces articles est aussi d'ouvrir un espace d'échanges, aussi n'hésitez pas à vous exprimer dans les commentaires. 

Bonne lecture !

« L'automne est une saison sage et de bon conseil. », Félix-Antoine Savard.

Une question de (manque de) temps...

Pleine de bonnes intentions et de volonté, j'avais prévu d'écrire chaque semaine, comme je l'ai fait dans la chronique du mois d'octobre. Mais je n'ai pas eu le temps. 

Et ce temps qui me manque tant, je le sais, manque aussi à chacun d'entre nous : pour écrire un article de blog, pour partager un bon moment, pour faire les devoirs, pour corriger les copies, pour travailler chaque jour la lecture ou les mathématiques, pour faire les aménagements dont les enfants ont besoin, pour appeler quelqu'un qui attend ou juste répondre à un message.

Vous avez dit "aménagements" ?

Vous remarquerez que j'en reviens souvent aux apprentissages, à l'école, aux aménagements. Peut-être parce qu'en ayant été enseignante, je me suis souvent, moi aussi, sentie débordée par les demandes des parents, des enfants et de l'institution. Parce que mettre en oeuvre des aménagements me semblait impossible au milieu des cours à préparer et des copies à corriger, des conflits à régler et des réunions à supporter. 

Peut-être aussi parce qu'aujourd'hui, je suis de ceux et celles qui les recommandent, qui les sollicitent, qui parfois tentent de les imposer quand l'interlocuteur 

fait obstruction. Peut-être parce que parfois je ressens une forme de dissonance cognitive entre l'enseignante que j'étais et la psychopédagogue que je suis.

Quand je travaillais au collège ou juste après l'avoir quitté, de nombreux parents m'ont remerciée pour l'aide que j'avais apportée à leurs enfants et je ne comprenais pas toujours de quoi ils parlaient car je n'avais pas l'impression d'avoir répondu aux attentes des PAP, des GEVA-Sco et des PPRE.  

Pendant le DU, je m'étais insurgée contre une intervenante de la MDPH qui reprochaient aux professeurs leur feignantise et qui essayait de m'expliquer que c'était tout à fait possible de préparer trois fois le même cours à chaque fois pour trois tiers de chaque classe en regroupant les élèves selon leurs difficultés : ces reproches prouvent surtout que certaines personnes qui travaillent à la MDPH n'ont absolument pas conscience du temps qu'il faut pour préparer un cours et du fait que la semaine se constitue, au mieux, d'une quinzaine de cours différents à préparer (mais c'est un autre débat...).

Aujourd'hui, je suis passée de l'autre côté de la barrière (existe-t-elle vraiment ?) et je m'aperçois que le problème des aménagements et de leur mise en oeuvre est presque toujours une question de temps (quand ce n'est pas une question de mauvaise foi).

Du temps ou des moyens ?

A la lecture de ma dernière phrase, je le sais, les enseignants vont s'insurger : "Je ne manque pas de temps mais de moyens !" et pourtant, je persiste ! 

Avez-vous déjà été confronté à la liste des aménagements proposés par l'Education Nationale ? Cette liste suppose un engagement de la part de l'enfant et de l'enseignant qui est, très souvent, irréalisable.

Prenons un exemple : Pour une élève ayant un trouble de l'attention, la copie d'une leçon assez longue est difficile. Une des recommandations est donc d'autoriser l'élève à avoir une clé USB sur laquelle récupérer le support du cours.

(...)

Il s'agit donc de demander à un élève qui parfois oublie sa trousse, son sac ou son manteau dans la classe, qui au bout d'un quart d'heure a décroché du cours, de faire attention à donner sa clé USB à l'enseignant en début ou en fin de d'heure. Ou bien, changeons de point de vue, de demander à l'enseignant de penser à la clé USB d'un élève parmi les 100 ou 150 élèves qu'il verra ce jour-là défiler dans sa classe, au collège ou au lycée. 

Dans un cas comme dans l'autre, la réussite du dispositif souffre dès le départ de fondements fragiles : parce que pris dans le déroulé du cours, l'élève n'a pas le temps d'y penser quand sonne la fin de l'heure, parce que pris dans la course de la journée, l'enseignant n'a pas le temps de se rappeler de demander la clé USB à la fin du cours. 

Par contre, l'enseignant a le temps de prendre la photo du tableau ou d'ajouter la capture d'écran du cours dans le cahier de textes quand il le remplit le soir. L'élève a le temps de l'imprimer ou de le recopier au moment des devoirs en rentrant. Mais ces aménagements ne figurent pas dans la liste, ou en tous cas, pas explicitement.

L'enseignant a le temps de supprimer trois mots de sa leçon quand il la rédige et d'en imprimer quelques exemplaires, l'élève a le temps et la disponibilité en classe pour compléter sa leçon à trous et quitter la salle satisfait d'avoir pour une fois écrit son cours en entier. 

Je ne dis pas que ce n'est jamais une question de moyens mais je crois que c'est surtout une question d'exigences qui semblent irréalisables et chronophages aux enseignants.

Le temps d'y penser

En Belgique, les aménagements sont dits raisonnables et peut-être est-ce ce qui manque en France pour convaincre les enseignants qui "n'ont pas le temps" de prendre simplement celui d'y penser... Souvent, les parents ne demandent pas plus qu'une simple attention à l'égard de leur enfant en difficulté et en souffrance : 

- Barrer un exercice ou les dernières questions d'une évaluation pour qui est plus lent que les autres, 

- Surligner les verbes de consignes pour qui ne comprend pas les consignes, les expliciter, les réexpliquer si besoin, 

- Indiquer sur l'évaluation les questions les plus simples ou les plus difficiles pour guider les élèves, 

- Autoriser la calculatrice ou les tables pour l'élève dyscalculique, 

- Proposer une dictée à trous pour l'élève dyslexique ou dysorthographique,

- Aménager les devoirs à la maison avec des exercices obligatoires et d'autres facultatifs,

- Passer dans la classe remettre les inattentifs au travail, aider ceux qui sont bloqués sur un verbe, un mot ou un tableau,

- Autoriser la photo du tableau en fin de cours, distribuer la leçon et demander à ce que les éléments importants soient surlignés...

Tous ces aménagements figurent sur les documents de l'Education Nationale mais pour certains avec des formulations qui paraissent soit évidentes ("s'assurer de la bonne compréhension des consignes", oui merci, personne n'y aurait pensé) soit impossibles à mettre en oeuvre ("permettre un temps supplémentaire à l'élève" : où ? quand ? comment ?).

Pour avoir le temps d'y penser, les enseignants doivent avoir les moyens de le faire et les moyens en question passent par la formation, la réactualisation des connaissances et le travail en collaboration avec les professionnels de la prise en charge qui est bien trop souvent difficile.

Les moyens d'y penser

Alors, comment donne-t-on aux enseignants les moyens d'y penser ? Comment leur permet-on de comprendre les difficultés de leurs élèves et comment leur donne-t-on le moyen de les accompagner sans sacrifier leur vie personnelle ?

Car là aussi, il s'agit bien d'une question de temps : le temps de travail des enseignants est souvent sous-estimé. La préparation de cours, la correction des évaluations ou des cahiers, le remplissage des bulletins et l'accompagnement qui est fait en parallèle en réunions, en rendez-vous parents, tout cela prend du temps. Un temps qui n'est pas extensible et auquel viennent s'ajouter les demandes d'aménagements avec des propositions aussi insensées que celle de la MDPH évoquée plus haut. 

Donner les moyens aux enseignants de penser aux aménagements, c'est leur proposer des outils, des astuces ancrées dans la réalité, dans leur réalité. Leur permettre en quelques secondes de savoir exactement quoi faire pour aider l'élève qui est en face d'eux. En formation, des stylos nous avaient été proposés pour les élèves en difficulté : ce stylo (magique ?) lit la consigne à l'élève dyslexique à haute voix. Belle idée. Mais à quel moment cette idée est-elle applicable en classe ? Il faut rester réaliste. 

Former les enseignants, c'est aussi leur donner les éléments diagnostiques d'un trouble des apprentissages :

- non, une élève en retard de lecture en début de CE1 n'est pas forcément dyslexique,

- non, un élève en difficulté de lecture et de numération en fin de CE1 ne doit pas être systématiquement orienté en ULIS, 

- non, un élève qui s'agite sur sa chaise en grande section ne souffre pas obligatoirement d'un trouble de l'attention,

- non, un élève présentant des difficultés de numération en début de CE2 n'est pas toujours dyscalculique...

Des exemples comme ceux-ci, j'en vois passer des dizaines.

Mais il ne faut pas oublier qu'un diagnostic ne se pose que si les difficultés persistent dans le temps, résistent à des aménagements et entraînent un retard significatif (plus de 6 mois par rapport aux attendus de la classe d'âge.

Par contre, pour tous ces élèves en difficulté, des aménagements sont une question de bon sens et ne doivent pas attendre la mise en place d'un document officiel ou la visite chez un orthophoniste.

Et les autres ?

A côté de tous ces enseignants qui veulent bien faire mais ne savent pas toujours comment, il existe aussi les enseignants qui n'ont pas le temps mais qui, surtout, n'ont pas envie de le prendre. 

Ceux qui pensent qu'autoriser la calculatrice à un élève dyscalculique les empêchera de dormir la nuit, ceux qui pensent que distribuer une dictée à trous est un affront personnel, ceux qui pensent que les aménagements sont pour les fainéants, que l'élève qui se balance sur sa chaise est un agitateur ou que celui qui coupe la parole à chaque fois qu'il a la réponse est un insolent mal élevé, ceux qui refusent de mettre en place ou de remplir les fiches d'objectifs pour ces gosses qui n'ont besoin que de ça.

Ceux qui pensent aussi que les 50 minutes pendant lesquelles l'élève sera en cours avec eux ne justifient pas de se poser la question des aménagements parce que ce n'est qu'un cours, qu'une heure, que les autres le feront et sans doute mieux qu'eux.

Ces enseignants me mettent en colère car je vois défiler des gamins qui n'ont rien demandé, qui font des efforts, avec qui je travaille longuement sur la compréhension, sur le raisonnement, sur les stratégies de compensation, sur les fonctions cognitives. Je vois défiler des enfants qui font des progrès, qui parviennent à venir à bout d'exercices inenvisageables quelques mois plus tôt mais qui perdent leurs moyens en classe. 

Des enseignants comme ceux-là, j'en connais. Tout le monde en connaît. 

Ce sont les mêmes qui soufflent en formation et qui ont toujours une bonne raison pour oublier qu'ils sont là pour aider les enfants. Ce sont les mêmes qui mettent des mauvaises notes toutes les semaines sans se demander si l'élève ne rentre pas chez lui en pleurant parce qu'il a tout donné. Ce sont eux enfin qui opposent une fin de non-recevoir à mes demandes ou qui m'expliquent avec condescendance des notions de géométrie de 6e. 

Très souvent, les parents me disent que c'est un parcours du combattant d'obtenir chaque année la mise en place des aménagements. Des dossiers se perdent, des administrations traînent des pieds, des enseignants font la sourde oreille... que de temps perdu. 

Et on en revient toujours au même : c'est une question de temps, celui que l'on choisit d'accorder aux enfants.

Merci pour votre lecture ! 

On se retrouve en commentaires pour échanger ou le mois prochain pour une nouvelle chronique. 


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